Le Droit des Veuves au Cameroun : Entre Tradition et Modernité?

“J’étais perdue. Je ne comprenais pas. C’était la maison que nous avions construite ensemble. Pourquoi voulais-t-on me la prendre?”

Une veuve est une femme dont le conjoint est décédé.Le terme “veuve” s’applique spécifiquement aux femmes, tandis que le terme “veuf” s’applique aux hommes dans la même situation. La veuvage est un état de deuil et de changement de statut social qui peut être accompagné de défis émotionnels, financiers et juridiques.

Au Cameroun, le droit des veuves est un domaine complexe qui se situe à la croisée des traditions, des coutumes et du droit moderne. Si le Code civil camerounais, d’inspiration française, offre une certaine protection juridique aux veuves, les réalités du terrain sont souvent différentes, marquées par des pratiques traditionnelles parfois discriminatoires et la précarité économique.

Protection juridique

Le Code civil camerounais l’un des multiples  héritiers du droit français accorde aux veuves une protection juridique similaire à celle de leurs homologues françaises :

• Droit à la succession : La veuve est héritière de son défunt mari, elle peut ainsi hériter d’une partie de ses biens et de son patrimoine.
• Droit au logement : La veuve peut, sous certaines conditions, continuer à habiter le logement familial.
• Pension de réversion : La veuve peut bénéficier d’une pension de réversion, qui représente une partie de la pension de retraite de son défunt mari.
• Protection sociale : La veuve peut bénéficier de certains avantages sociaux, comme l’Allocation de Veuvage, la prime d’activité et bien d’autres doits . Cependant pour entrer dans ses droits , la veuve rencontre un nombre significatif de défis

Les défis

Malgré ces protections juridiques, la situation des veuves camerounaises reste souvent difficile, notamment en raison de :

• Pratiques coutumières : Les coutumes traditionnelles dans certaines régions du Cameroun peuvent être discriminatoires envers les veuves. Elles peuvent être obligées de se soumettre à des rites funéraires coûteux, être privées de certains biens, ou même être considérées comme des propriétés du clan de leur défunt mari.

L’histoire de Mme Mefire, une veuve camerounaise de la région de l’Ouest, illustre parfaitement les difficultés rencontrées par les femmes en deuil au Cameroun. Son témoignage, poignant, révèle la cruauté des traditions qui s’imposent aux veuves et la difficulté d’accès à la justice

• Précarité économique : De nombreuses veuves camerounaises se retrouvent en situation de précarité économique, notamment en raison de leur faible niveau d’éducation, de leur dépendance financière envers leur mari, et de la difficulté à accéder à l’emploi.
• Manque d’accès à la justice : Les veuves peuvent être confrontées à des obstacles pour accéder à la justice, notamment en raison des frais de justice élevés, du manque d’information sur leurs droits, et de la corruption.

“J’ai perdu mon mari il y a trois ans. C’était un choc terrible. Mais ce qui m’a le plus fait souffrir, c’est ce qui s’est passé après. La famille de mon mari est venue me réclamer tout ce qu’il possédait. Ils voulaient me faire partir de la maison, me donner une petite somme d’argent et me renvoyer chez ma famille. J’ai refusé. J’avais le droit d’hériter de mon mari, d’être protégée, et d’habiter la maison où nous avions construit notre vie.”

Vers une meilleure protection

Plusieurs initiatives sont en cours pour améliorer la situation des veuves au Cameroun . Ces initiatives sont orientées vers des besoins bien identifiés

• Besoin de Sensibilisation et formation : S’il est vrai que des ONG et des organisations internationales sensibilisent les femmes à leurs droits et les aident à accéder à la justice. Le taux de femmes veuves protégés par la société reste tout de même très faible .

“J’ai appris à connaître mes droits, à me battre pour ma dignité. Je veux que d’autres femmes ne subissent pas le même sort que moi. Les traditions ne doivent pas nous empêcher de vivre dignement, de nous reconstruire après le deuil. On doit pouvoir pleurer nos maris, honorer leur mémoire, sans être spoliées, sans être traitées comme des personnes de second rang.” Disait-elle tout sourire .
• Promotion de l’éducation et de l’autonomisation : Des programmes de formation professionnelle et d’alphabétisation sont mis en place pour les veuves. “Je n’avais jamais imaginé que la mort de mon mari me priverait de ma dignité et de ma liberté. J’avais l’impression d’être devenue une prisonnière de la tradition” – Mme Mefire
• Révision des textes législatifs : Certains efforts sont menés pour adapter les textes législatifs à la situation des veuves et à la réalité des pratiques traditionnelles.la situation des veuves au Cameroun est complexe et exige une approche multidimensionnelle.

Il est important de concilier la protection juridique avec les réalités traditionnelles, de lutter contre la précarité et la discrimination, et de promouvoir l’autonomisation des femmes.

Mme Mefire quant à elle , a finalement trouvé refuge chez une association d’aide aux veuves qui l’a soutenue dans sa lutte juridique. Avec l’aide d’avocats et d’activistes, elle a pu faire valoir ses droits et obtenir une partie du patrimoine de son défunt mari.

L’histoire de Mme Mefire est un standard de la société camerounaise et même d’Afrique subsaharienne  ,  Elle met en lumière les injustices et les souffrances endurées par les veuves au Cameroun. Elle appelle à un changement profond, à une meilleure protection des femmes en deuil, et à une refonte des traditions qui les oppriment. Le combat de Mme Mefire est celui de toutes les veuves qui aspirent à un avenir digne et libre. Peut-on vraiment combiner le veuvage à la modernité ?

Par Hans Dimitri Nguile

People and culture specialist